L’ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme[1] a instauré diverses obligations, notamment pour les sociétés civiles et commerciales établies sur le territoire français[2], relatives à leurs bénéficiaires effectifs[3], et ce, à compter du 1er août 2017. Les textes issus de cette ordonnance ont été récemment modifiés par les ordonnance n°2020-115 du 12 février 2020[4] et décret n° 2020-118 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Les sociétés sont ainsi tenues d’obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs ainsi que de déclarer au Registre du commerce et des sociétés les informations relatives à ces mêmes bénéficiaires, à savoir les éléments d’identification et le domicile personnel de ces derniers ainsi que les modalités du contrôle qu’ils exercent sur la société[5].

Le greffier du tribunal de commerce vérifie alors que les informations relatives aux bénéficiaires effectifs sont complètes et conformes aux dispositions législatives et réglementaires, correspondent aux pièces justificatives et pièces déposées en annexe et sont compatibles, dans le cas d’une demande de modification ou de radiation, avec l’état du dossier[6].

Qui sont les bénéficiaires effectifs ? – Les bénéficiaires effectifs sont la ou les personnes physiques soit qui contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, la société, soit pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée[7]. Plus précisément, pour ce qui est des sociétés, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur la société[8]. Si aucune personne physique n’a pu être ainsi identifiée et en l’absence de soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme[9], le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques qui représente légalement la société[10].

Quelles informations doivent être déclarées ? – Les informations relatives au bénéficiaire effectif à déclarer lors de la demande sont les suivantes :

  • S’agissant de la société : sa dénomination ou raison sociale, sa forme juridique, l’adresse de son siège social et, le cas échéant, son numéro unique d’identification complété par la mention Registre du commerce et des sociétés suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée ;
  • S’agissant du bénéficiaire effectif : Les nom, nom d’usage, pseudonyme, prénoms, date et lieu de naissance, nationalité, adresse personnelle de la ou des personnes physiques ;  la nature et les modalités du contrôle exercé sur la société ainsi que l’étendue de ce contrôle ; la date à laquelle la ou les personnes physiques sont devenues le bénéficiaire effectif de la société[11].

 

La Cour d’appel de Lyon, par arrêt en date du 12 septembre 2019 (n°19/02040), avait jugé que la détermination du bénéficiaire effectif imposait de préciser le pourcentage précis du capital ou des droits de vote détenus dans la société, sans pouvoir se contenter de mentionner la seule détention, directe ou indirecte, de plus de 25 %[12].

C’est, semble-t-il, le sens de la réforme récente opérée par les ordonnance n°2020-115 du 12 février 2020 et décret n° 2020-118 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Quelle forme doit revêtir le document relatif au bénéficiaire effectif ? – Le document relatif au bénéficiaire effectif est daté et signé par le représentant légal de la société qui procède au dépôt. Il peut être établi sur papier libre[13]. Néanmoins, des modèles sont disponibles en ligne sur le site internet Infogreffe. 

Sous quel délai ces informations doivent-elles être déclarées ? – Les informations relatives aux bénéficiaires effectifs relatives aux nom, nom d’usage, pseudonyme, prénoms, mois, année de naissance, pays de résidence et nationalité des bénéficiaires effectifs ainsi qu’à la nature et à l’étendue des intérêts effectifs qu’ils détiennent dans la société sont déclarées au greffe du tribunal de commerce lors de la demande d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés présentée par la société.

La société demande une inscription modificative dans les trente jours suivant tout fait ou acte rendant nécessaire la rectification ou le complément des informations déclarées[14].

Quelles obligations et sanctions pèsent sur le bénéficiaire effectif ? – A la demande de la société, le bénéficiaire effectif lui fournit toutes les informations nécessaires au respect de l’obligation d’obtenir et de conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs. Ces informations sont transmises par le bénéficiaire effectif dans un délai de trente jours ouvrables à compter de la demande[15]. Lorsque ce délai n’est pas respecté, ou lorsque les informations fournies par le bénéficiaire effectif sont incomplètes ou erronées, la société peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux fins de voir ordonner, au besoin sous astreinte, la transmission de ces informations[16].

Le fait pour le bénéficiaire effectif de ne pas transmettre à la société les informations requises dans les délais prévus ou de transmettre des informations inexactes ou incomplètes est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. Les personnes physiques encourent également les peines d’interdiction de gérer et de privation partielle des droits civils et civiques. 

Quelles obligations et sanctions pèsent sur la société ? –  Le président du tribunal, d’office ou sur requête du procureur de la République ou de toute personne justifiant y avoir intérêt, peut enjoindre, au besoin sous astreinte, à toute société de procéder ou faire procéder soit aux déclarations des informations relatives au bénéficiaire effectif, soit à la rectification de ces informations lorsqu’elles sont inexactes ou incomplètes. Lorsque la personne ne défère pas à l’injonction délivrée par le président, le greffier en avise le procureur de la République et lui adresse une expédition de la décision. Dans les mêmes conditions, le président peut désigner un mandataire chargé d’accomplir ces formalités. Si la société a désigné un commissaire aux comptes, le mandataire peut obtenir de ce dernier communication de tous renseignements nécessaires[17].

En outre, le fait de ne pas déclarer au registre du commerce et des sociétés les informations relatives aux bénéficiaires effectifs ou de déclarer des informations inexactes ou incomplètes est puni des peines susvisées[18], les personnes morales déclarées pénalement responsables encourant, outre la peine d’amende d’un montant maximum de 37.500 €, les peines prévues aux 1°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° et 9° de l’article 131-39 du Code pénal[19] [20].

Enfin, les sociétés sont tenues de fournir aux personnes assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme[21] les informations relatives aux bénéficiaires effectifs recueillies dans le cadre des mesures de vigilance prévues en matière de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme[22]. Le fait pour ces sociétés de ne pas fournir à ces personnes, dans le cadre des mesures de vigilance prévues à l’égard de la clientèle[23] ou de transmettre des informations inexactes ou incomplètes est puni des peines susvisées[24].

Quelles obligations et sanctions pèsent sur les personnes assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ? – Les personnes assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ainsi que, dans la mesure où cela s’inscrit dans l’exercice normal de leurs contrôles, les autorités en charge du contrôle du respect de leurs obligations, signalent au greffier du tribunal de commerce toute divergence qu’elles constatent entre les informations inscrites dans le registre des bénéficiaires effectifs et les informations sur les bénéficiaires effectifs dont elles disposent, y compris l’absence d’enregistrement de ces informations.

Le greffier mentionne d’office au registre la divergence ainsi signalée et précise les informations relatives au bénéficiaire effectif sur lesquelles porte cette divergence. La mention est supprimée d’office dès que la société a procédé ou fait procéder à la rectification de ces informations[25].

Le greffier invite en outre dans ces cas la société à régulariser son dossier. Faute pour la société de déférer à cette invitation dans le délai d’un mois à compter de cette dernière, le greffier saisit le président du tribunal[26].

Les informations relatives aux bénéficiaires effectifs sont-elles publiques ? – Peuvent avoir accès à l’intégralité des informations relatives aux bénéficiaires effectifs : 1° La société concernée pour les seules informations qu’elle a déclarées ; 2° Sans restriction, dans le cadre de leur mission : les autorités judiciaires, la cellule de renseignement financier nationale, les agents de l’administration des douanes agissant sur le fondement des prérogatives conférées par le code des douanes, les agents habilités de l’administration des finances publiques chargés du contrôle et du recouvrement en matière fiscale, les officiers habilités de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale, ainsi que les agents des douanes et des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application des articles 28-1 et 28-2 du Code de procédure pénale, et les autorités de contrôle mentionnées à l’article L.561-36 du Code monétaire et financier[27]; 3° Les personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme[28] [29].

Seules sont accessibles au public, les informations relatives aux nom, nom d’usage, pseudonyme, prénoms, mois, année de naissance, pays de résidence et nationalité des bénéficiaires effectifs ainsi qu’à la nature et à l’étendue des intérêts effectifs qu’ils détiennent dans la société.

L’accès aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs est gratuit, quelles que soient les modalités de consultation ou de communication de ces informations.[30]

 

Mon Cabinet d’avocat en droit des affaires situé à Laval, en Mayenne, est à votre disposition pour répondre à toutes vos questions !

 

[1] Transposant la directive 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme

[2] A l’exclusion des sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé en France ou dans un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou qui sont soumises à des obligations de publicité conformes au droit de l’Union ou qui sont soumises à des normes internationales équivalentes garantissant la transparence adéquate pour les informations relatives à la propriété du capital. D’autres entités juridiques sont également concernées. Nous nous concentrerons ici sur les seules sociétés civiles et commerciales non cotées.

[3] Articles L.561-45-1 et suivants du Code monétaire et financier

[4] Transposant la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme ainsi que les directives 2009/138/CE et 2013/36/UE 

[5] Articles L.561-45-1 et suivants du Code monétaire et financier 

[6] Article L.561-47 du Code monétaire et financier

[7] Article L.561-2-2 du Code monétaire et financier

[8] au sens des 3° et 4° du I de l’article L.233-3 du Code de commerce, à savoir : 3° Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ; 4° Lorsqu’elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société.

[9] De la part des personnes assujetties aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme visées à l’article L.561-2 du Code monétaire et financier. La doctrine semble toutefois estimer que cette condition ne devrait pas s’appliquer.

[10] A savoir, a) Le ou les gérants des sociétés en nom collectif, des sociétés en commandite simple, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés en commandite par actions et des sociétés civiles ; b) Le directeur général des sociétés anonymes à conseil d’administration ; c) Le directeur général unique ou le président du directoire des sociétés anonymes à directoire et conseil de surveillance ; d) Le président et, le cas échéant, le directeur général des sociétés par actions simplifiées. Si les représentants légaux mentionnés au a ou au d sont des personnes morales, le bénéficiaire effectif est la ou les personnes physiques qui représentent légalement ces personnes morales (Article R.561-1 du Code monétaire et financier)

[11] Article R.561-56 du Code monétaire et financier

[12] Pour la Cour d’appel, de telles précisions sont « conformes aux objectifs de police économique poursuivis par les législations nationales et européennes dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et destinés à connaître le degré d’implication ou de bénéfice de la personne physique visée dans les décisions concernées » et sont indispensables « à l’explication concrète des modalités de contrôle ou de l’avantage retiré par le bénéficiaire effectif et, de manière incidente, à l’effectivité du contrôle et de la vérification par les autorités compétentes des informations portée sur les déclarations ».

[13] Confirmé par le Tribunal de Commerce de Bobigny (Tribunal de commerce de Bobigny, ordonnance du 18 mai 2018, n°2018S07031) et la Cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 12/09/2019, n°19/02040)

[14] Article R.561-55 du Code monétaire et financier

[15] Article R.561-59 du Code monétaire et financier

[16] Article L.561-45-2 du Code monétaire et financier

[17] Articles L.561-48 et R.561-60 et suivants du Code monétaire et financier

[18] Article L.574-5 du Code monétaire et financier

[19] à savoir : 1° La dissolution, lorsque la personne morale a été créée ou, lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni en ce qui concerne les personnes physiques d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ; 3° Le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ; 4° La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ; 5° L’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus ; 6° L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé ; 7° L’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés ou d’utiliser des cartes de paiement ; 9° L’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.

[20] Article L.574-6 du Code monétaire et financier

[21] Visées à l’article L.561-2 du Code monétaire et financier

[22] Prévues au Chapitre Ier du Titre VI du Livre V du Code monétaire et financier

[23] Prévues à la section 3 du Chapitre Ier du Titre VI du Livre V du Code monétaire et financier

[24] Article L.561-45-1 du Code monétaire et financier

[25] Article R.561-64 du Code monétaire et financier

[26] Article L.561-47-1 du Code monétaire et financier

[27] Notamment, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’Autorité des marchés financiers, le conseil de l’ordre du barreau auprès duquel les avocats sont inscrits, les chambres des notaires sur les notaires de leur ressort, les chambres régionales des huissiers de justice sur les huissiers de justice de leur ressort, la chambre de discipline des commissaires-priseurs judiciaires sur les commissaires-priseurs judiciaires de leur ressort, le conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation sur les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation…

[28] mentionnées à l’article L.561-2 du Code monétaire et financier dans le cadre d’une au moins des mesures de vigilance mentionnées aux articles L.561-4-1 à L.561-14-2 du Code monétaire et financier. Pour davantage de précisions, voir l’article R.561-58 du Code monétaire et financier.

[29] Pour davantage de précisions, voir l’article R.561-57 du Code monétaire et financier

[30] Article L.561-46 du Code monétaire et financier