Déontologie et contrat : la Cour de cassation divisée ?
Quel lien entre déontologie et contrat ?[1]
Un contrat conclu en violation de la déontologie d’un des cocontractants peut être annulé pour illicéité.
Oui, mais…!
Principe
La licéité autrefois de l’objet – désormais du contenu[2] – est une condition de validité du contrat.
Dès lors, un contrat ayant un objet contraire aux règles de droit d’ordre public devrait pouvoir être annulé[3].
La question s’est posée concernant la validité d’un contrat conclu en violation des règles déontologiques auxquelles est soumis l’un des cocontractants.
Position de la Première Chambre civile
*Autrefois, la Première Chambre civile estimait que « les règles de déontologie, dont l’objet est de fixer les devoirs des membres de la profession, ne sont assorties que de sanctions disciplinaires et n’entraînent pas à elles seules la nullité des contrats conclus en infraction à leurs dispositions»[4].
*Sa position a par la suite évolué dans un arrêt rendu à propos d’un contrat conclu par un ostéopathe tendant à l’insertion d’encarts publicitaires dans un répertoire familial pratique d’urgence.
En effet, la « déontologie » applicable à cette profession prohiberait tous procédés directs ou indirects de publicité.
La Première Chambre civile en a alors déduit que le contrat était nul en raison du caractère illicite de son objet[5].
*Cette position a ensuite été confirmée à propos des experts-comptables, dont la déontologie résulte du décret n°2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable[6].
Elle a en effet jugé qu’un contrat conclu entre un expert-comptable et son client, en ce qu’il fixe les honoraires dus en fonction des résultats financiers obtenus par les clients, est illicite et, partant, nul, de sorte que le montant des honoraires dus à l’expert-comptable doit être déterminé en fonction du travail fourni et du service rendu.[7]
Position de la Chambre commerciale
Récemment, la Chambre commerciale a eu à connaître de cette même question.
Un contrat d’abonnement et de location d’une solution internet a été conclu par un ostéopathe. Assigné en justice à la suite d’impayés, l’ostéopathe arguait de la nullité du contrat.
La cour d’appel fait droit à sa demande retenant qu’il résulte du code de déontologie des professionnels de l’ostéopathie l’interdiction pour les ostéopathes de recourir à des procédés directs ou indirects de publicité, de sorte que le contrat relatif à la conception d’un site internet, qui poursuit la publicité d’une activité d’ostéopathe, a un objet illicite.
La Chambre commerciale a jugé, à l’inverse et au visa de l’article 12 code de procédure civile, après avoir rappelé que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, qu’en statuant ainsi, alors que le code de déontologie des professionnels de l’ostéopathie ne résulte d’aucune disposition légale ou réglementaire, la cour d’appel a violé le texte susvisé[8].
Est ainsi en cause, pour la Chambre commerciale, la valeur normative de la règle au regard de laquelle l’illicéité de l’objet de contrat est appréciée. En effet, il semble qu’il n’existe pas de code de déontologie à valeur légale ou réglementaire pour les ostéopathes mais plutôt des codes élaborés par différentes entités privées (ex : Registre des Ostéopathes de France, Syndicat Français des Ostéopathes…)[9].
Une question se pose donc. Déontologie et contrat : la Cour de cassation est-elle divisée ?
[1] La Cour de cassation semble s’être (assez) rarement prononcée sur ce sujet ; sauf erreur de notre part, une recherche par mot clé sur Légifrance fait ressortir (très) peu de décisions.
[2] Articles 1128 et 1162 du code civil
[3] A noter que l’illicéité de la cause semble également avoir pu être retenue comme fondement de la nullité d’un contrat conclu en violation de règles déontologiques ; cf à propos des règles impératives d’exercice de la profession d’avocat : cf Civ.1ère, 17 février 2021, n°19-22.234
[4] Civ.1ère, 05/11/1991, n°89-15.179, rendu à propos de la profession d’expert-comptable
[5] Civ.1ère, 06/02/2019, n°17-20.463
[6] Qui renvoie notamment, concernant les honoraires, à l’article 24 de l’ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable ; ledit article 24 est visé par la Première Chambre civile dans sa décision.
[7] Civ.1ère, 06/04/2022, n°21-12.045. Dans cette affaire, la Cour d’appel avait pourtant fait application de la précédente jurisprudence de la Première Chambre civile.
[8] Com, 25/06/2025, n°24-10.862
[9] La Chambre commerciale avait précédemment semblé estimer insuffisante la violation des seules règles déontologiques de la profession de pharmacien pour fonder la nullité d’un contrat de société (Com, 11/07/2006, n°04-16.759).
Photo de Tingey Injury Law Firm sur Unsplash