Les clauses de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge font l’objet d’appréciations discordantes et fluctuantes selon les différentes Chambres de la Cour de cassation. Une grande rigueur s’impose donc dans leur rédaction.

Mettant fin à une opposition au sein de ses Chambres, la Chambre mixte de la Cour de cassation a jugé que « licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent » (14 février 2003, n°00-19423 et 00-19424 ; Cf également, Com., 17 juin 2003, n°99-16001). Ce principe s’applique tant aux demandes principales qu’aux demandes reconventionnelles (Com., 30 mai 2018, n°16-26403 et 16-27691)[1]

Pour rappel, « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. » (art. 122 du Code de procédure civile). Elle est un puissant moyen de défense puisqu’elle interdit au juge saisi d’examiner le fond de l’affaire, sauf à excéder ses pouvoirs (Civ.2ème, 20 juin 1985, n°83-14776 ; Soc., 9 octobre 2013, n°12-24454), parce que la partie qui l’invoque n’a pas à justifier d’un quelconque grief (art.124 du Code de procédure civile) et qu’elle peut être soulevée à tout moment, sauf à devoir verser des dommages et intérêts en cas de manœuvre dilatoire (art.123 du Code de procédure civile).

Appliquée aux clauses de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge, la sanction de cette fin de non-recevoir est d’autant plus forte que, désormais, la Cour de cassation la juge non régularisable en cours d’instance : si la procédure favorisant une solution du litige par le recours à un tiers n’a pas été mise en œuvre préalablement à la saisine du juge, elle ne peut plus l’être une fois qu’il a été saisi, et ce, même avant qu’il ne statue (Chambre mixte, 12 décembre 2014, n°13-19684 ; Civ.3ème, 6 octobre 2016, n°15-17989 et 16 novembre 2017, n°16-24642)[2].

• La question s’est alors posée de déterminer précisément les conditions auxquelles de telles clauses permettraient d’opposer valablement une fin de non-recevoir[3]. Sur ce point, la politique menée par les différentes Chambres en la matière s’est avérée parfois difficile à cerner.

   *La Troisième Chambre civile a réservé dans un premier temps un large accueil aux clauses prévoyant un règlement amiable. Ont ainsi été jugées instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la violation constituait dès lors une fin de non-recevoir, les clauses suivantes :

  • « pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction » (Civ.3ème, 19 mai 2016, n°15-14464)
  • « en cas de litige portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire ; cette saisine intervient sur l’initiative de la partie la plus diligente. » (Civ.3ème, 16 novembre 2017, n°16-24642)[4]

 

Néanmoins, dans un second temps, la Troisième Chambre civile a semblé poser quelques limites à cette faveur faite aux clauses de règlement amiable. Elle a ainsi récemment jugé que ne constituait pas une clause instituant une procédure de conciliation préalable et obligatoire la clause de style prévoyant le recours préalable à un conciliateur, rédigée de manière elliptique en termes très généraux[5], comme suit :

  • « en cas de litige, les parties conviennent préalablement à toute instance judiciaire, de soumettre leur différend au conciliateur qui sera missionné par le président de la Chambre des notaires» (Civ.3ème, 11 juillet 2019, n°18-13460)

 

   *Apparemment plus sévère, la Chambre commerciale a posé en principe que « la clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable, non assortie de conditions particulières de mise en œuvre, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s’imposant à celui-ci » (Com., 29 avril 2014, n°12-27004).

Pour autant, la Chambre commerciale a semblé, concrètement, adopter une conception assez souple de la notion de « conditions particulières de mise en œuvre ». Elle a ainsi jugé qu’instituaient une procédure de conciliation préalable, dont le défaut de mise en œuvre constituait une fin de non-recevoir, les clauses suivantes :

  • « en cas de litige, les parties s’engagent à trouver un accord amiable avec l’arbitrage de la FEDIMAG. A défaut d’accord amiable, compétence est attribuée au tribunal de commerce de Bobigny nonobstant pluralité de parties » (Com., 30 mai 2018, n°16-26403 et 16-27691) ;
  • « si certaines clauses du présent contrat ne peuvent être respectées, totalement ou partiellement, ou s’il y a divergence d’interprétation et désaccord, les parties tenteront de trouver une solution amiable dans un délai d’un mois du fait générateur soit entre elles, soit par l’intermédiaire d’un tiers nommé par M le président du tribunal de commerce de Lille statuant en la forme des référés et sans recours possible, à moins que les parties ne le désignent d’un commun accord. Toute contestation, divergence, interprétation ou désaccord devra faire l’objet d’une notification en les conditions stipulées à l’article 10 ci-dessus. La date de réception de la lettre recommandée avec accusé de réception ou la date de présentation, si cette dernière n’est pas retirée par son destinataire, fera courir le délai d’un mois. La présente clause n’est pas une clause d’arbitrage mais elle est une phase pré contentieuse dans le règlement amiable de la difficulté intervenue. A défaut d’accord amiable sur le litige les opposant au terme du délai d’un mois précité, le litige sera soumis par la partie la plus diligente au tribunal de commerce de Lille. » (Com., 19 juin 2019, n°17-28804). 

 

Mais, là encore, la politique de faveur faite aux clauses de règlement amiable n’a pas été sans limite. La Chambre commerciale a ainsi refusé de qualifier de fin de non-recevoir la violation de la clause suivante :

  • « Les parties s’engagent à tenter de résoudre à l’amiable tout différend susceptible entre elles, à l’occasion du présent contrat, par saisine d’un médiateur à l’initiative de la partie la plus diligente, formulera une proposition de conciliation, dans le mois suivant sa saisine. Les frais de médiation seront supportés par moitié, par chacune des parties». Pour la Chambre commerciale, les parties au contrat s’étaient bornées à prendre l’engagement de résoudre à l’amiable tout différend par la saisine d’un médiateur, ladite clause ne désignant pas celui-ci ni ne précisant, au moins, les modalités de sa désignation (Com., 3 octobre 2018, n°17-21089).

 

• Une fois la clause de règlement amiable dûment qualifiée, se pose la question de son champ d’application. Celui-ci se voit parfois limité. Là aussi, la jurisprudence n’est pas unanime.

Si l’urgence autorise, sans débat, une saisine directe des tribunaux par les parties en principe liées par une clause de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge, le contentieux de l’exécution donne lieu à une interprétation divergente des Chambres de la Cour de cassation.

La Première Chambre civile a jugé que « la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à toute instance judiciaire s’impose au juge, quelle que soit la nature de celle-ci ». En conséquence, elle a cassé l’arrêt de Cour d’appel qui, aux motifs que la clause de conciliation préalable ne comportait aucune disposition relative aux contestations ayant trait à l’exécution forcée de l’acte de prêt, avait cru pouvoir ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière dans ses derniers errements ainsi que la vente forcée de l’immeuble (Civ.1ère, 1er octobre 2014, n°13-17920).

A l’inverse, pour la Deuxième Chambre civile, une telle clause ne fait pas obstacle à l’accomplissement d’une mesure d’exécution forcée, en l’absence de stipulation expresse en ce sens ; dès lors, « nonobstant une telle clause, un commandement de payer valant saisie immobilière peut être délivré et le débiteur assigné à comparaître à une audience d’orientation du juge de l’exécution » (Civ.2ème, 21 mars 2019, n°18-14773)[6].

Dans les affaires ayant donné lieu à ces deux derniers arrêts, la clause de conciliation était rédigée dans des termes quasi-identiques[7].

• Pour conclure, on retiendra que si les différentes Chambres de la Cour de cassation jugent parfois de solutions différentes, voire contradictoires, un point commun apparait néanmoins aux termes des décisions rendues. Il s’agit du flottement terminologique relatif aux clauses de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge.

En effet, sous le vocable de « clause de conciliation », la Cour de cassation vise en réalité l’ensemble des clauses de règlement amiable prévoyant l’intervention d’un tiers[8].

Pareille approximation est fort dommage puisque, participant à la nébuleuse entourant les modes amiables de règlement des conflits, elle ne permet pas à certains d’entre eux, spécifiques, de tirer leur épingle du jeu, telle la médiation. Ces confusions ne sont donc pas de nature à favoriser leur pleine appropriation par les praticiens et les justiciables.

 

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[1] C’est bien évidemment la mise en œuvre de la procédure de conciliation instituée par la clause qui est requise et non sa réussite, au sens de la conclusion effective d’un accord amiable.

[2] S’ajoute à cela que la résolution d’un contrat n’est pas de nature à affecter une clause de règlement amiable (art. 1230 du Code civil).

[3] A noter qu’une fin de non-recevoir ne saurait être soulevée en certaines hypothèses. Ainsi, interdite dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur (art. L.612-4 du Code de la consommation – Cf également, Civ.1ère, 16 mai 2018, n°17-16197 qui présume abusive une telle clause), la clause de règlement amiable prévue par un contrat de travail ne peut être opposée au salarié, compte tenu de l’existence en la matière d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire (Soc., 5 décembre 2012, n°11-20004).

[4] Sur ce point, la Troisième Chambre civile a rappelé qu’en présence d’une telle clause invoquée à l’occasion d’une action, exercée postérieurement à la réception de l’ouvrage, en réparation de désordres rendant l’ouvrage impropre à sa destination, il appartient à la Cour d’appel saisie, au besoin d’office, de rechercher si une telle action n’est pas fondée sur l’article 1792 du code civil, ce qui rendrait inapplicable la clause litigieuse (Civ.3ème, 23 mai 2019, n°18-15286. Cf déjà Civ.3ème, 23 mai 2007, n°06-15668 et 9 octobre 2007, n°06-16404). On rappellera que la garantie décennale du constructeur d’un ouvrage prévue à l’article 1792 du Code civil pose une présomption légale de responsabilité objective. A l’inverse, la clause de conciliation préalable et obligatoire à la saisine du juge a vocation à s’appliquer sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun prévue aux articles 1231 et suivants du Code civil.

[5] Dans cette affaire, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, également, avait souligné « l’absence totale de modalités de saisine du conciliateur » rendant la clause inapplicable, à telle enseigne, selon elle, que « quelque peu convaincus de cette inefficacité, les appelants ne concluent aucunement sur la mise en œuvre de cette clause ».

[6] Voir déjà : Civ.2ème, 22 juin 2017, n°16-11975, pour une clause de médiation ; Voir également : Civ.2ème, 19 février 2015, n°13-27968

[7]Civ.1ère, 1er octobre 2014, n°13-17920 :« en cas de litige, les parties conviennent, préalablement à toute instance judiciaire, de soumettre leur différend à un conciliateur désigné qui sera missionné par le Président de la chambre des notaires ».

 – Civ.2ème, 21 mars 2019, n°18-14773 : « en cas de litige, les parties conviennent, préalablement à toute instance judiciaire, de soumettre leur différend au conciliateur qui sera missionné par le Président de la Chambre des Notaires ».

[8] Cf par exemple, les arrêts suivants aux termes desquels institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge : la clause imposant le recours à un arbitre (Civ.3ème, 19 mai 2016, n°15-14464) ; la clause imposant de solliciter l’avis d’un tiers (Civ.3ème, 16 novembre 2017, n°16-24642) ; la clause prévoyant le recours à l’arbitrage d’une entité désignée (Com., 30 mai 2018, n°16-26403 et 16-27691).